Esprit d'hiver, Laura Kasischke
Editions Christian Bourgois, 275 pages
Rentrée littéraire 2013. Littérature états-unienne.
Huis clos entre Holly, une mère, poétesse qui n'a pas écrit depuis des années, et sa fille adoptive de 15 ans, Tatiana, un 25 décembre. Attente vaine des invités au repas de Noël, invités dont la venue est progressivement remise en question à cause d'une tempête de neige. On pense d'abord que le danger, que l'enjeu dramatique vient de l'extérieur, le père est parti chercher ses parents à l'aéroport et tarde à revenir... la journée du côté des femmes restées à la maison s'annonce plutôt ennuyeuse ou laborieuse, certes Holly s'est levée tard, le repas n'est pas encore prêt, et sa fille auparavant si charmante est d'une humeur grincheuse typiquement adolescente qui froisse sa mère et la laisse perplexe, mais à part s'occuper de la préparation du repas et attendre leurs invités elles n'ont rien à faire.
Pendant toute la journée, on oscille entre tentatives de réconciliations et bouderies entre la mère et la fille - tout est raconté du point de vue de la mère, et petit à petit on en apprend beaucoup sur le passé des personnages, le désir avorté de maternité et d'écriture d'Holly, et les circonstances de l'adoption de Tatiana en Russie, 13 ans plus tôt.
Cela se tient, la fin est assez frappante et donne envie de revenir au début pour tout revoir autrement ! Mais dommage que l'ensemble soit noyé dans un amas de considérations creuses et répétitives. On suit l'action - qui à part quelques maigres rebondissements est assez médiocre - et les pensées d'Holly en temps réel, alors oui tout est décomposé, mais on a l'impression que tout se traîne, tout est répétitif, et les protagonistes sont assez tête à claques ! Holly reste coincée dans son rôle de mère en admiration constante pour sa fille, même si celle-ci ne cesse de la décevoir et d'échapper à sa compréhension. Et impossible de comprendre ce que Tatiana a derrière la tête, pourquoi mère et fille ont besoin de se chamailler ainsi pour des broutilles tellement superficielles que l'ensemble en devient vite très agaçant !
L'auteur est très douée pour nous faire tourner en bourrique ; en effet malgré mon exaspération constante, je suis quand même restée accrochée à ma lecture parce que j'avais envie de connaître le pourquoi du comment, mais l'avancée est très lente et on reste sur notre faim quasiment jusqu'à la fin ! Et même si cette résolution est bien trouvée, mon impression globale est très mitigée. On ne peut nier un talent indéniable de l'auteur qui réussit à nous taper sur le système tout en nous donnant envie de comprendre ce qu'il se passe réellement, d'autant plus que l'atmosphère devient de plus en plus étouffante voir surnaturelle ! C'est pourquoi je suis allée jusqu'au bout (je suis d'accord avec les critiques qui qualifient ce roman de thriller, en un sens). La fin est plutôt réussie mais ne parvient pas à effacer le fait que la majeure partie de ma lecture a été assez poussive et agrémentée de nombreux soupirs mentaux d'impatience... c'est le genre de livre que j'aimerais sûrement mieux en y repensant plus tard, comme la fin est bien et que je vais peut-être oublier ce qui m'a ennuyée avant, j'en aurai peut-être un souvenir surestimé. N'empêche que j'ai largement préféré le seul autre livre que j'ai lu de cet auteur pour le moment : Rêves de garçons.
Quatrième de couverture :
Réveillée tard le matin de Noël, Holly se voit assaillie par un sentiment d'angoisse inexplicable. Rien n'est plus comme avant. Le blizzard s'est levé, les invités se décommandent pour le déjeuner traditionnel. Holly se retrouve seule avec sa fille Tatiana, habituellement affectueuse, mais dont le comportement se révèle de plus en plus étrange et inquiétant...
Extraits :
"Et Holly pensa alors : "Je dois l'écrire avant que cela ne m'échappe". Elle avait déjà ressenti ça plus jeune - l'envie presque paniquée d'écrire à propos d'une chose qu'elle avait entraperçue, de la fixer sur la page avant qu'elle ne file à nouveau. Certaines fois, il avait failli lui soulever le cœur, ce désir d'arracher d'un coup sec cette chose d'elle et de la transporter en mots avant qu'elle ne se dissimule derrière un organe au plus profond de son corps - un organe un peu bordeaux qui ressemblerait à un foie ou à des ouïes et qu'elle devrait extirper par l'arrière, comme si elle le sortait du bout des doigts d'une carcasse de dinde, si jamais elle voulait l'atteindre une nouvelle fois.. Voilà ce que Holly avait ressenti chaque fois qu'elle écrivait un poème, et pourquoi elle avait cessé d'en écrire."
"Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération."