Mémoires d'un fou : 1838, moins de 100 pages, l'auteur a rédigé ce récit quand il avait 17 ans. Gustave Flaubert adolescent, c'est plutôt rigolo, il avait bien tout l'emportement qu'on prête à la jeunesse, si j'étais vulgaire et voulais caricaturer son attitude, je dirais même qu'aujourd'hui on l'aurait traité d'emo. Voyez le tout début, on dirait quasiment un premier article de blog :
"Pourquoi écrire ces pages ? - À quoi sont-elles bonnes ? - Qu'en sais-je moi-même ? Cela est assez sot à mon gré d'aller demander aux hommes le motif de leurs actions et de leurs écrits. - Savez-vous vous-même pourquoi vous avez ouvert les misérables feuilles que la main d'un fou va tracer ? (...)
Je ne sais pas plus que vous ce que vous allez lire car ce n'est point un roman ni un drame avec un plan fixe, ou une seule idée préméditée, avec des jalons pour faire serpenter la pensée dans des allées tirées au cordeau.
Seulement, je vais mettre sur le papier tout ce qui me viendra à la tête, mes idées avec mes souvenirs, mes impressions, mes rêves, mes caprices, tout ce qui passe dans la pensée et dans l'âme, - du rire et des pleurs, du blanc et du noir, des sanglots partis d'abord du coeur et étalés comme de la pâte dans des périodes sonores, - et des larmes délayées dans des métaphores romantiques."
Et en effet on en a beaucoup, des "larmes délayées dans des métaphores romantiques" ; son spleen étant à peu près sans objet (je veux dire par là : sans objet réellement tangible si on le juge de manière sévère), il développe énormément sa mélancolie vague, son ennui de vivre, son dégoût de tout, et j'en passe. Cela serait assez vide si on n'avait pas quand même le récit de ses premières amours impossibles. Beaucoup d'emphase pour pas grand-chose si on voit les choses de façon pragmatique ; mais bon, c'est Flaubert, alors on a quand même quelques passages vraiment pas mal du tout. Ce que j'ai préféré, c'est sa description énamourée de l'objet de ses fantasmes : (qu'on qualifierait aujourd'hui de femme grosse et moustachue si on cherchait à être méchant et réaliste, mais comme vous allez le voir, Gustave la voit autrement et c'est TANT MIEUX <3) :
"Elle me regarda.
Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet !
Comme elle était belle, cette femme ! je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil.
Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, - sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d'azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher trop d'embonpoint ou plutôt un négligé artistique - aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c'était une voix modulée, musicale et douce. - Elle avait une robe fine de mousseline blanche qui laissait voir les contours moelleux de son bras."
Cette femme, qui semble avoir bien existé puisque ce récit est considéré comme autobiographique, a également servi de modèle au personnage de Mme Arnoux dans l'Education Sentimentale que Flaubert écrira bien plus tard. (lu et étudié l'Education sentimentale à la fac il y a quelques années et certes, on reconnaît bien le même genre d'admiration passionnée). "Pourquoi écrire ces pages ? - À quoi sont-elles bonnes ? - Qu'en sais-je moi-même ? Cela est assez sot à mon gré d'aller demander aux hommes le motif de leurs actions et de leurs écrits. - Savez-vous vous-même pourquoi vous avez ouvert les misérables feuilles que la main d'un fou va tracer ? (...)
Je ne sais pas plus que vous ce que vous allez lire car ce n'est point un roman ni un drame avec un plan fixe, ou une seule idée préméditée, avec des jalons pour faire serpenter la pensée dans des allées tirées au cordeau.
Seulement, je vais mettre sur le papier tout ce qui me viendra à la tête, mes idées avec mes souvenirs, mes impressions, mes rêves, mes caprices, tout ce qui passe dans la pensée et dans l'âme, - du rire et des pleurs, du blanc et du noir, des sanglots partis d'abord du coeur et étalés comme de la pâte dans des périodes sonores, - et des larmes délayées dans des métaphores romantiques."
Et en effet on en a beaucoup, des "larmes délayées dans des métaphores romantiques" ; son spleen étant à peu près sans objet (je veux dire par là : sans objet réellement tangible si on le juge de manière sévère), il développe énormément sa mélancolie vague, son ennui de vivre, son dégoût de tout, et j'en passe. Cela serait assez vide si on n'avait pas quand même le récit de ses premières amours impossibles. Beaucoup d'emphase pour pas grand-chose si on voit les choses de façon pragmatique ; mais bon, c'est Flaubert, alors on a quand même quelques passages vraiment pas mal du tout. Ce que j'ai préféré, c'est sa description énamourée de l'objet de ses fantasmes : (qu'on qualifierait aujourd'hui de femme grosse et moustachue si on cherchait à être méchant et réaliste, mais comme vous allez le voir, Gustave la voit autrement et c'est TANT MIEUX <3) :
"Elle me regarda.
Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet !
Comme elle était belle, cette femme ! je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil.
Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, - sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d'azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher trop d'embonpoint ou plutôt un négligé artistique - aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c'était une voix modulée, musicale et douce. - Elle avait une robe fine de mousseline blanche qui laissait voir les contours moelleux de son bras."
Lire Mémoires d'un fou :
- Livre audio gratuit à télécharger ici (lecture par René Depasse, durée : 2h10mn)
- Ouvrage en ligne ici (Gallica) ou encore là (InLibroVeritas).