J'ai découvert Delphine de Vigan il y a quelques années avec No et moi, un livre pour lequel je garde toujours beaucoup d'affection ; j'ai lu deux fois Jours sans faim qui est l'un des meilleurs livres sur l'anorexie que j'ai eu l'occasion de lire (avec Petite de Geneviève Brisac et le Pavillon des enfants fous de Valérie Valère).
L'année dernière, j'ai beaucoup apprécié - mais moins que les deux autres romans précédemment cités, finalement - Rien ne s'oppose à la nuit, livre qui lui a valu une reconnaissance du public encore plus large (et a obtenu le prix Renaudot, le prix du roman Fnac et le prix France Télévisions 2011). J'ai aussi lu un de ses premiers romans, Un soir de décembre, qui m'avait fait passer un agréable moment mais dont je ne conserve quasiment aucun souvenir (l'histoire d'un homme, un écrivain qui ne parvient plus à écrire si je ne me trompe pas, qui se détache de son couple parce qu'il repense à un ancien amour, mais je ne me souviens d'aucun autre détail !).
J'avais les Heures souterraines dans mon Ipod depuis au moins deux ans et je ne l'avais toujours pas écouté - je n'avais jamais lu de livre audio avant et étais assez frileuse, malgré les incitations multiples d'une amie proche qui lit de cette manière depuis des années. Finalement je me suis enfin lancée, et ai écouté ce livre (qui fait un peu moins de 6 heures je crois) en cinq jours, principalement dans les transports en commun.
Concernant cette forme de lecture qui est nouvelle pour moi : c'est une agréable surprise et je peux dire que je regrette de ne pas m'y être mise plus tôt ! J'aime voir écrits les mots, et quand j'écoute de la musique en général je ne suis pas très attentive, je laisse plutôt mon esprit voguer au point de parfois ne presque plus prêter attention à ce que j'ai dans les oreilles (de plus dans les transports en commun je m'endors assez facilement). J'avais donc peur de ne pas du tout réussir à me concentrer sur la voix de la lectrice, de décrocher fréquemment et d'être obligée de revenir en arrière, ou de devoir pour suivre faire des efforts surhumains que je n'aurais pas eus envie de fournir le matin encore endormie ou fatiguée après une journée de travail. Mais que nenni, soit mon esprit a réussi à piger qu'il était de bon ton d'être attentif comme un grand, soit le livre est assez prenant / la lectrice assez douée pour que je m'accroche sans peine au fil, et je n'ai pas été frustrée de ne pas avoir les mots sous les yeux.
Un peu après la moitié du roman (ou un peu avant ?) j'ai quand même commencé à ressentir un agacement régulier, dû uniquement, j'en suis à peu près sûre, au style du livre. Il s'agit en effet de suivre minutieusement dans leurs gestes (et pensées, la narration est externe mais le point de vue omniscient) deux personnages : Mathilde, l'héroïne de ce roman, sur le point de craquer à cause du harcèlement dont elle est l'objet dans son entreprise, qui se manifeste par sa progressive "mise au placard", et Thibault, un médecin généraliste qui passe ses journée à se rendre au domicile des personnes qui appellent les urgences médicales de Paris, usé par la misère qu'il côtoie au quotidien et par sa rupture toute fraîche d'avec Lila, une femme dont il est amoureux mais qui ne l'a jamais vraiment aimé. Chaque chapitre est centré sur l'un des deux protagonistes, on ne cesse donc d'alterner entre la journée de Mathilde et celle de Thibault - l'action du roman se situe le 20 mai, jour qui doit être un tournant dans la vie de Mathilde si elle en croit la voyante qu'elle a consulté ; le récit de cette journée est agrémenté de l'évocation de souvenirs et de l'état psychologique actuel de ces deux personnages au bout du rouleau.
Pour éviter de se noyer complètement dans une tonalité pathétique à mourir, Delphine de Vigan a choisi d'adopter un style en apparence très objectif, et décrit les choses de manière concrète, simple et en même temps très détaillée et précise. Problème, cette froideur de surface est considérablement alourdie par la surenchère de détails et surtout l'énumération de synonymes qui en fait insistent très fortement sur certains points (la voix parfois apitoyée de la lectrice ne m'a sans doute pas aidée à prendre ces passages avec plus de légèreté, remarquez !). Plus ça va, plus on la voit venir, et parfois au moment où venait un mot je sentais qu'on allait avoir droit à un développement à partir de ce mot qui serait repris maintes fois. D'abord on trouve ça sympa, ça donne une impression de fluidité, les choses avancent toutes seules. Mais rapidement, j'ai eu plutôt l'impression qu'on s'enlisait, j'avais envie de rayer mentalement des phrases entières qui ne servaient à rien d'autre qu'en rajouter une couche et je me retenais de dire par-dessus la voix "blablablabla, REDONDANCE tsss !!!". Ce procédé trop utilisé m'a semblé extrêmement lourdingue et assez déplaisant et a finalement pas mal pourri cette lecture. Un extrait pour vous donner une idée de ce style particulier qui a fini par m'agacer :
"Aujourd'hui, quelque chose pourrait se passer. Quelque chose d'important. Un événement qui inverserait le cours de sa vie, un point de disjonction, une césure, inscrite depuis plusieurs semaines à l'encre noire dans son agenda. Un événement majuscule, attendu comme un sauvetage en haute mer.
Aujourd'hui, le 20 mai, parce qu'elle est arrivée au bout, au bout de ce qu'elle peut supporter, au bout de ce qu'il est humainement possible de supporter. C'est écrit dans l'ordre du monde. Dans le ciel liquide, dans la conjonction des planètes, dans la vibration des nombres. Il est écrit qu'aujourd'hui elle serait parvenue exactement là, au point de non-retour, là où plus rien de normal ne peut modifier le cours des heures, là où rien ne peut advenir qui ne menace l'ensemble, ne remette tout en question. Il faut que quelque chose se passe. Quelque chose d'exceptionnel. Pour sortir de là. Pour que ça s'arrête. "